Le professeur Idriss Denis-Fatoïchan est voyant, mais il préfère se présenter comme boulomancier, terme qu’il a créé pour définir son approche toute personnelle de la pétanque et de la divination. Depuis quinze ans déjà, il utilise la pétanque comme élément central de sa pratique divinatoire et travaille chaque jour à perfectionner son art. Oupépiste s’il en est, nous avons rencontré Idriss pour qu’il nous éclaire sur les liens entre occultisme et pétanque.
Le mariage de la pétanque et de l’occultisme peut surprendre, voire même franchement faire sourire. En es-tu conscient ?
I.D.F : Bien entendu. On m’a d’ailleurs souvent demandé d’un air narquois si je lisais l’avenir dans une boule de pétanque comme le font dans une boule de cristal les personnages de médium dans les films. Ce que je réponds toujours aux incrédules, c’est que s’il y a quelque chose d’occulte dans la pétanque que je pratique, cela en a toujours été une composante intrinsèque, ce n’est pas moi qui l’y ait introduit. Je l’ai pour ma part simplement découvert, mis au jour, afin de tenter d’y trouver un sens utile pour comprendre l’avenir.
Qu’entends-tu exactement quand tu dis que l’occulte est une composante de la pétanque ?
I.D.F : Ce n’est peut-être pas flagrant pour tout le monde, mais depuis toujours, la pétanque possède dans sa forme des éléments caractéristiques de l’univers de l’occultisme. Par exemple, chaque partie commence par la pose ou le traçage au sol d’un cercle. Or, dans les pratiques magiques ancestrales, les cérémonies commencent toujours par la formation d’un cercle que l’on marque au sol à l’aide d’une craie, de sel ou encore de charbon. Ce cercle magique sert le plus souvent à former une protection durant la cérémonie, une bulle. Dans une partie de pétanque, c’est la même chose, ce cercle c’est l’espace sacré du joueur qui y pénètre. Pendant un instant il se retrouve séparé du groupe, seul, dans cette bulle où il est face à lui-même et au monde symbolique de la partie. Lorsqu’on joue à la pétanque, on joue les pieds ancrés dans le sol, dans la terre. Il y a une dimension profondément tellurique, un rapport aux éléments et au phénomènes physiques qui animent notre planète et qui est tout à fait particulier et essentiel pour mon travail de voyant.
Comment cet aspect de la pétanque t’est-il apparu ?
I.D.F : Il existe une tradition des sciences divinatoires des deux côtés de ma famille depuis déjà longtemps. Du côté de ma mère qui est né au Bénin, les hommes sont babalawo de père en fils. En français on traduirait babalawo par marabout ou sorcier. Ils pratiquent un système de divination utilisé depuis plusieurs siècles par le peuple Yoruba qui s’appelle l’Ifà et dont la pratique se nomme l’ifada. Du côté de mon père cette fois, ma grand-mère était astrologue et voyante dans le Val-de-Marne. Mes parents n’ont pas embrassé la tradition familiale et ont choisi des parcours de vie très différents, mais moi j’ai toujours senti que cette dimension du monde m’appelait. J’ai donc beaucoup lu et étudié sur l’histoire et les formes de l’occultisme, de la magie et de la divination.
En jouant à la pétanque un été lors d’un séjour à Tunis avec des amis, j’ai d’abord remarqué la similarité qu’il y avait entre l’organisation des boules sur le terrain et les cartes et schémas de constellations qu’utilisait ma grand mère pour son travail d’astrologue. C’était la première fois que je jouais et pour moi ce que nous faisions à chaque mène n’était ni plus ni moins que la constitution de micro-constellations. J’ai alors tout de suite senti que cet agencement éphémère de planètes devait vouloir nous dire quelque chose, j’en étais persuadé.
C’est donc à Tunis qu’est née « l’astro-pétanque »?
I.D.F : Je n’ai jamais nommé mon art divinatoire de cette manière, mais pourquoi pas, ça sonne plutôt bien (rires). Pour répondre à votre question, non, pas tout de suite. Cela a encore pris quelques années après cette première observation. L’astrologie que pratiquait ma grand-mère est une technique basée sur un calcul rigoureux de la position des planètes dans le ciel où l’on interprète ensuite les mouvements célestes selon une grille de décodage qui remonte à des millénaires mais qui est sans cesse remise à jour à l’occasion de chaque découverte scientifique. Par exemple, Neptune a été découverte en 1846 et Pluton en 1930. La position des boules de pétanque est elle aussi actualisée et différente à chaque partie. Je suis donc à chaque fois face à une situation inédite et une constellation unique à interpréter. En regardant mon grand-père et mes oncles au Bénin, j’ai eu l’idée d’utiliser l’espace de la pétanque, les boules et son ensemble de règles, comme eux utilisaient les noix de palme dans leur pratique de l’Ifà. De là, j’ai petit à petit développé une forme divinatoire personnelle combinant astrologie et géomancie. Le plus grand défi étant de parvenir à développer une grille de lecture des signes qui se présentent lors d’une partie et un principe de hiérarchisation de ces derniers.
Comment se déroule concrètement une séance type de boulomancie ?
I.D.F : La personne venant consulter l’oracle de la pétanque et moi-même jouons une partie ensemble. À chaque coup joué, j’effectue un relevé de la position des boules sur le terrain, que j’analyse et interprète pour la personne à la fin de la partie. S’ensuit une discussion où nous tentons ensemble de créer des liens entre ce que les boules ont dit et les difficultés ou problèmes que la personne traverse dans son quotidien.
Quels types de personnes font appellent à tes services ?
I.D.F : C’est assez varié, mais la plupart sont par ailleurs boulistes, c’est par ce biais-là qu’habituellement ils arrivent à moi. Il y a quelques joueurs de haut niveau, mais surtout des amateurs. Tu l’as sûrement déjà remarqué, les joueurs de pétanque sont souvent très superstitieux et ont par nature l’esprit ouvert aux pouvoirs de l’occulte.
Arrives-tu encore à regarder une partie de pétanque sans tenter de systématiquement y lire l’avenir ?
I.D.F : Pour moi, chaque événement de la vie est porteur d’un message qui va au-delà de l’événement lui-même. Mais pour répondre à ta question, malgré le filtre au travers duquel je regarde le monde et en particulier la pétanque, il m’est encore possible d’apprécier simplement une belle partie tout comme ma grand-mère pouvait s’émerveiller devant un ciel d’été étoilé tout en étant astrologue.
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